Droits de douane, guerre d’image et contrefaçon masquée : La riposte inattendue des fabricants chinois sur TikTok
Sous la pression des sanctions américaines, certains industriels chinois exposent leur savoir-faire sur les réseaux sociaux pour reprendre la main. La guerre commerciale sino-américaine s’intensifie. En réponse à l’annonce de nouveaux droits de douane américains atteignant jusqu’à 145 % sur certains produits chinois, Pékin a contre-attaqué avec une hausse des tarifs douaniers à 125 %. Mais au-delà des canaux officiels et des stratégies de rétorsion classiques, une nouvelle forme de résistance émerge sur… TikTok.
Depuis quelques semaines, des vidéos virales mettent en scène des propriétaires d’usines chinoises revendiquant leur rôle dans la fabrication de vêtements de luxe destinés à des marques occidentales. Ces contenus, cumulant parfois plusieurs millions de vues, affirment que des pièces étiquetées “Made in Italy” ou “Made in France” seraient en réalité partiellement produites en Chine, et n’auraient subi en Europe qu’une transformation insuffisante pour acquérir l’origine non préférentielle “Italie ou UE”. Le message est clair : la Chine ne se contente plus d’être l’atelier du monde, elle le fait savoir.
Pingti vs. prestige : la nouvelle bataille du luxe
Ces vidéos ne montrent pas de copies grossières, mais des “pingti” : des imitations haut de gamme dont les matériaux, les patrons et les finitions s’inspireraient directement des grandes maisons de mode. Leur argument ? “Même qualité, moitié prix.” Une façon de brouiller les lignes entre fabrication sous-traitée, inspiration assumée et contrefaçon déguisée.
Si le savoir-faire artisanal européen reste un critère déterminant dans la reconnaissance d’un produit de luxe, ces vidéos cherchent à démontrer que le savoir-faire industriel chinois est tout aussi essentiel à la chaîne de valeur mondiale et injustement sous-estimé. On y voit des bobines de tissu, des machines industrielles dernier cri, des équipes à l’ouvrage, parfois avec des logos floutés. Paradoxalement, c’est en dévoilant les coulisses d’une industrie discrète que ces fabricants entendent regagner en légitimité.
Une arme d’influence dans une guerre tarifaire
Ce phénomène n’est pas anodin. Il s’inscrit dans une logique plus large : la guerre commerciale ne se joue plus uniquement sur les taux de droits de douane, mais aussi sur le terrain de l’opinion publique. À l’instar des campagnes de soft power* traditionnel, ces vidéos ont pour objectif de :
- Redorer l’image du “Made in China”, souvent assimilé à du bas de gamme.
- Déstabiliser les marques occidentales, en semant le doute sur la transparence de leur chaîne de production.
- Détourner la consommation, en orientant les acheteurs vers des circuits alternatifs (par WhatsApp ou sur des marketplaces marques blanches).
Des exemptions pour apaiser, une tension toujours latente
Dans le même temps, le gouvernement chinois tente de temporiser. Des discussions ont été engagées avec plus de 80 entreprises étrangères implantées en Chine pour identifier des produits susceptibles d’être exemptés des surtaxes de 125 %.
Une liste de 131 catégories de produits circulerait déjà dans les milieux industriels. Si elle se confirmait, elle pourrait représenter un allégement tarifaire sur 45 milliards de dollars d’importations américaines. Un signe que Pékin cherche aussi à ménager ses partenaires économiques clés, tout en maintenant une posture ferme à l’égard de Washington.
Les tensions commerciales actuelles entre les États-Unis et la Chine révèlent combien la douane est devenue un levier géopolitique majeur. Mais cette fois, la riposte dépasse les cadres habituels : en exposant leur rôle dans les coulisses du luxe mondial, certains industriels chinois cherchent à faire pression autrement sur les marques, les consommateurs et les représentations collectives. Un rappel que le terrain douanier ne se limite plus aux frontières : il s’étend désormais jusqu’aux réseaux sociaux.
*Soft power : stratégies d’influence menées par un pays ou une organisation pour façonner l’opinion et les comportements d’autres pays ou publics étrangers, non pas par la force (hard power), mais par l’attraction culturelle, la persuasion et la communication.
Cette stratégie d’exposition n’est pas sans danger pour les marques citées. En effet, certaines risquent d’être accusées d’induire les consommateurs en erreur en jouant, notamment, sur la confusion entre provenance et origine. La provenance, est le pays d’où le produit est expédié alors que l’origine non préférentielle (made in), est le pays où le produit a été entièrement fabriqué ou transformé de façon significative, respectant les règlementations d’origine en vigueurs.
D’où l’importance pour les entreprises de bien connaître et maîtriser les règles d’origine, pour éviter les erreurs d’étiquetage et d’être face à de mauvaises surprises pouvant être lourdes de conséquences.